Amené régulièrement à faire des demandes de visa, je me suis souvent retrouvé plongé dans ces files anonymes qui assiègent les consulats ou les préfectures, premiers bastions de l’administration. Devant ces enceintes et ces bureaux aux portes closes, nous attendons, tendus vers ce moment incertain où ce sera notre tour.
À l’arrivée, il a des formulaires à remplir, des preuves à montrer, toute une règle du jeu à assimiler sous peine d’un impitoyable retour à la case départ. La file est universelle. Au bout, il y a peut-être des papiers, un bol de soupe, un divertissement prisé ou un nouveau gadget.
Aux bread lines de Dorothea Lange répondent les files monstrueuses du Black Friday. La file d’attente cristallise la tension d’un monde en perpétuelle saturation. Elle raconte notre impuissance face aux règles communes et matérialise avec évidence la fracture d’une société à deux vitesses : ceux qui attentent... et ceux qui peuvent tricher.
Terre Promise témoigne d’une jeunesse, elle aussi en attente, à la merci de pouvoirs (politiques et culturels) aussi opaques qu’inaccessibles. Qu’y a-t-il de l’autre côté de la frontière fermée ?